Les fantômes de Yazuac [PV Valendil]

Une nuit d’encre venait de s’abattre sur l’Alagaësia. La lune, fourbe, s’était dissimulée derrière un rideau épais de nuages sombres. Les étoiles, de leur faible lumière, tentaient vainement d’illuminer la terre, sans franc succès. Il se faisait maintenant tard, et rien ne semblait pouvoir sauver cette soirée de la pénombre. Ainsi, la sinistre ville de Yazuac était plongée dans les ténèbres. Les maisons brûlées, dévastées, pillées regorgeaient d’ombres effrayantes, cachant de nombreux dangers. La mort régnait en maîtresse des lieux, ayant emporté toute vie de la cité. Depuis l’attaque des Urgals, la ville était restée figée dans son décor macabre. Seuls les corps calcinés et putréfiés avaient disparu. Mais l’ambiance sépulcrale n’avait pas cédé sa place, ancrée dans chaque mur, chaque parcelle de terre défraîchie. Et de surcroît, personne n’osait s’aventurer en cet endroit maudit, maudit pour l’éternité. Personne sauf une silhouette, qui s’avançait lentement et sans bruit vers Yazuac. Svelte et musclée, cette forme appartenait clairement à une femme, ce qui pourtant n’était guère courant depuis l’incident qui avait marqué tous les esprits…
La demoiselle s’abaissa, plongeant ses doigts fins dans la terre. Sur sa main gantée ne s’étalait que des grains, le sol étant mort en même temps que les habitants. De par le large cercle d’herbe brûlé, la jeune femme constatait qu’elle se tenait à l’endroit exact où le drame s’était déroulé. Lentement, elle se releva en scrutant le village qui s’érigeait devant elle. La mine grave, elle observa les alentours avec méfiance. De son regard bleuté elle put constater qu’aucune présence ne daignait faire son apparition. Aucun son ne lui parvenait ; rien, le calme plat. A cette nouvelle, Elenoy ne put s’empêcher de froncer les sourcils tout en sachant la raison de sa venue en ces lieux hantés.

*Flashback*

La dragonnière arpentait les couloirs de Tialdari Hall. Habillée tout autrement, la position altière, elle était suivie par trois de ses conseillers. Trottinant derrière elle, ils enlaçaient une multitude de parchemins tout en essayant d’en attraper un lorsque leur souveraine le requérait. La discussion allait bon train sans que la reine juvénile ne daigne poser les yeux sur ses interlocuteurs. Elle se contentait de fixer son regard droit devant tout en marchant d’un pas énergique. On lui indiquait qu’une réunion devait se tenir dans la salle d’Audience d’ici deux heures. Tous les nobles du conseil avaient été prévenus. Pour seule réponse, la magicienne acquiesça d’un signe de tête. Il s’agissait là d’une journée comme les autres, figée dans le quotidien serein du Beau Peuple. Hors, sa course fut stoppée par l’arrivée soudaine d’un homme. Il était vêtu d’une longue cape et restait immobile face à la bretteuse. Un silence pesant s’installa ; l’apparition de l’humain avait installé un grand malaise entre les trois elfes qui se trouvaient en retrait. Remarquant ce détail, l’inconnu engagea les formules de politesse elfiques à l’égard d’Elenoy. Cette dernière lui répondit calmement, n’étant pas le moins du monde inquiétée par la venue de l’homme.

- Je suppose que votre visite n’est pas anodine, déclara-t-elle tout en faisant signe aux sages de les laisser seuls. Est-ce Balrog qui vous envoie ?
- Tout à fait Altesse. Il désire vous confier une mission de la plus haute importance.

L’humain enfouit sa main sous la houppelande qu’il portait pour en sortir un parchemin cacheté. Il le tendit à l’élémentariste qui fronça les sourcils. Lorsqu’elle prit le message, elle reconnut aussitôt le sceau du Régent, reconnaissable par la tête de dragon qui trônait dans la cire rougeâtre. D’un geste rapide, la demoiselle décacheta la missive. Elle en lut le contenu sans un mot, son visage s’assombrissant à chaque seconde. Une fois sa lecture achevée, elle reporta son attention sur le coursier stoïque. Dans ses yeux bleutés, on ne voyait pas la bienveillance d’une reine. La dragonnière farouche s’était réveillée, et elle s’adressa avec incrédulité à l’homme.

- Des Ra’zacs ?

*Fin du Flashback*

Un craquement sonore sortit Elenoy de ses pensées. Les sens en alerte, elle tourna instinctivement la tête dans la direction que le bruit indiquait. Sa main était toujours à proximité du pommeau de son épée. Et bien que son visage restait impassible, la guerrière restait sur ses gardes. Si les rumeurs s’avéraient fondées, si des Ra’zacs avaient bien été aperçus près de Yazuac, elle se devait de se montrer extrêmement prudente. C‘est pourquoi elle ne pouvait s’empêcher de frôler son arme constamment. Le vent, quant à lui, venait porter les lamentations des âmes damnées jusqu’à ses oreilles pointues. Il semblait vouloir prévenir la dragonnière d’un danger imminent. Malheureusement, celle-ci ne percevait qu’une vague impression désagréable pourtant difficile à ignorer. Vêtue d’une tunique de cuir à la manufacture exemplaire, elle n’avait pourtant pas l’air équipée pour faire face à d’éventuelles créatures machiavéliques. Mais sa tenue était souple, légère, lui permettant de se mouvoir aisément et de faire ressortir toute l’agilité que cachait son corps mince. Sur le haut de ses cuisses, une fine jupette de tissu vert-pomme se soulevait avec la brise légère de la nuit. Et à ses pieds, c’était une paire de bottes en cuir à lacets qu’elle avait chaussé.
De nouveau, un même bruit vint l’alarmer. Cette fois ci, son imagination n’y était pour rien. Il était temps pour la jeune femme de pénétrer dans la ville. En silence, elle s’engouffra entre les maisons dévastées. Le sol était jonché de dalles éclatées et de morceaux de bois mités par les intempéries. Une odeur âcre emplissait l’air, sans qu’Elenoy n’en détecte la provenance. Par réflexe, elle plissa le nez tout en inspectant les lieux. Autour d’elle, la souveraine voyait des ombres inquiétante se mouvoir.

*- Il ne semble pas y avoir âme qui vive, pensait la demoiselle qui s’était avancé jusqu’à la place centrale. Je ferai mieux de ne pas m’attarder ici.*

En effet bien que la reine, de par ses origines elfiques, n'ait besoin d'un long repos elle se devait de ralentir le rythme. Depuis l'arrivée de l'humain à Ellesméra, elle n'avait su trouver un quelconque sommeil. Partie sur le champ sur le dos de Miremel, elles avaient voyagé sans relâche jusqu'à destination. Le village était désert, rien ne la retenait plus longtemps. Ainsi, la dragonnière s'apprêtait à faire demi-tour lorsqu'un troisième craquement derrière elle la fit sursauter. Son instinct prit alors le dessus et l'épée qui pendait à sa hanche quitta son fourreau pour se retrouver entre les doigts de l'élémentariste. A cet instant, tout s'accéléra. Alors qu'elle se croyait seule depuis tout à l‘heure, Elenoy aperçut une silhouette qui s'éloignait des décombres environnantes, dissimulée jusqu'à présent. La guerrière resserra son étreinte sur la lame qui complétait son bras en signe de défiance. Pourtant, l'ombre ne paraissait nullement impressionnée. Il s'avançait toujours, quittant l'obscurité accentuée des ruines. Il ne ressemblait aucunement à un Ra’zacs : et pourtant, la présence de cet étranger n’était sûrement pas une coïncidence. Reculant d’un pas, la jeune femme comprit que la confrérie avait été bernée. Et alors que la silhouette venait dans sa direction d’un pas menaçant, le piège se refermait sur la Reine.

Spoiler:

Yazuac. Une ville dévastée par une attaque d'Urgahls de grande envergure. Une ville qui jusqu'ici, n'a jamais été rétablie. Une ville oubliée de tous. Pourtant, ses alentours n'étaient pas morts. Les marchands et autres voyageurs transitant entre Carvahall et Daret, deux grands villages au commerce fleuri, n'avaient pas d'autres choix que de contourner ce no mans land et de passer à relative proximité. Tout à fait dans la continuité de la rivière Ninor, cette ville aurait fait un parfait avant-poste avec Gil'ead si Sasori, général des armées, en avait pas fait son domaine et n'avait pas trahi l'Empire de Samaël. Ceci dit, c'était l'endroit parfait pour une embuscade et Valendil prit rapidement l'initiative de tenter sa chance en faisant croire en la présence d'une menace volontiers chassée par le clan ennemi, des Ra'zacs. De terrifiantes créatures froides doté d'une sorte de bec et d'un exosquelette parant efficacement les coups physique. Aucunement sûr de la bonne marche de son plan, il décida tout de même de se rendre sur place avec une unité de six sbires à ses ordres. Les Ra'zacs étant un peu compliqués à gérer.

Il fut ravi de voir que son plan avait marché. En effet, l'ennemi avait mordu à l'hameçon et envoyé quelqu'un pour décimer cette fausse menace. Et non des moindres. Il ne s'agissait ni plus ni moins que de la reine des Elfes. Elenoy. Encore. Une nouvelle fois, les deux elfes allaient se rencontrer. Prêt à repartir d'où elle venait, l'Ombre ne laissa pas plus de place au suspense et ordonna à ses hommes d'attaquer de front par un simple geste du bras.

Citation :

- Maintenant.

Dans le même temps, Abysmal, ce monstre blanc qui était camouflé dans les altitudes au-dessus des nuages descendit en piquet à une vitesse fulgurante. Il atterrit derrière la reine dans un mini tremblement de terre qui fit perdre l'équilibre à tout le monde, y compris son maître pourtant à quelques dizaines de mètres de là. La créature poussa un cri de rage terrifiant dont la puissance fit sortir un léger nuage enflammé de sa gorge. Cette apparition trahit par le même biais l'identité du bras droit de l'Empire. Le piège venait de se refermer sur la souveraine mais Valendil ne s'était toujours pas montré. Il avait préféré rester derrière une maison en ruine suivant Elenoy du regard à travers son dragon.

*Tiens donc Elenoy comme on se retrouve. Ça fait un moment.* Pensa t-il.

Il est vrai que la dernière fois que ces deux-là s'étaient croisés était lors d'une grande bataille qui s'était terminée par un match nul si on peut dire. A croire qu'aucun des deux ne voulait mettre fin à la vie de l'autre au final. Pourtant leur clan respectif voulait qu'ils se détestent comme la peste. Et quelque part s'était bien le cas. Cependant, ils s’étaient mutuellement sauvé la vie il y a longtemps. Alors qu'aucun d'entre eux ne connaissaient l'identité de l'autre.

Dans tous les cas, il ne fallait pas attendre qu'elle puisse prendre contact avec son dragon qui devait sûrement être aussi dans le coin. L'unité de sbire lança l'offensive juste après l'atterrissage d'Abysmal. Ils formèrent un arc de cercle autour de la guerrière et le premier se lança à l'assaut. Munit d'une épée courte dans chaque main, il leva les bras, croisa ses lames et les abattit sur sa cible en sautant légèrement et en décroisant les armes. Ainsi, les seules possibilités restantes étaient l'esquive en arrière ou la parade. Pendant ce temps, le second se tint prêt à attaquer à son tour pour sa part équipé d'un fléau d'armes. Cette arme était capable de tuer en un seul coup. L'inconvénient étant sa maniabilité.

Spoiler:

Ce fut avec effroi qu'Elenoy vit le dragon blanc se poser lourdement à quelques mètres d'elle. Le sol tremblait sous ses pieds et elle fut déstabilisée par son arrivée brutale. Tandis qu'elle se relevait, ses craintes venaient de se confirmer en l'espace d'une seconde. L'haleine putride de la créature écœurait la jeune femme qui se retint avec peine de se masquer le visage. Les crocs aiguisés de la bête ne réussirent pourtant pas à l'impressionner. De plus, la silhouette éclatante du dragon permit enfin à la bretteuse de savoir qui était le chef de cette embuscade. Néanmoins, et même après que son identité fut révélée, ce dernier ne daigna pas se montrer. Il devait sûrement se cacher à l’écart : c’était du moins ce que supposait la dragonnière. Les sourcils froncés, elle défiait la créature des yeux. Malheureusement, cette confrontation ne fut que de courte durée. Alors qu’elle s’apprêtait à demander du renfort auprès de sa partenaire, une demi-douzaine de soldats tentèrent de l’encercler. Ils tenaient chacun une arme différente, allant de l’épée courte à la masse hérissée de pics. Ainsi l’Empire avait joué la carte de la fourberie, attirant un membre de la Confrérie dans leur piège. Et quelle prise ! L’ombre devait jubiler en constatant la victime qu’ils avaient attrapé. Une maître dragonnière, et la Reine des Elfes de surcroît. Celle-ci fit alors volte-face, n’ayant pas d’autres choix que de tourner le dos à la bête immense qui lui barrait le chemin. Au vue de leur posture, elle remarqua que les miliciens qui lui faisaient face étaient tous d’habiles combattants. Ce duel risquait d’être difficile, à un contre six, mais Elenoy ne perdait pas espoir. La guerre, les combats : elle avait survécu à tout cela. C’est pourquoi, sans montrer le moindre signe de peur, elle reprit correctement son épée entre ses doigts fins. Aussitôt après, le premier homme attaqua.

Il semblait vif, entraîné à abattre des elfes. Mais était-ce suffisant ? Apparemment, ses ennemis avaient eu la même conclusion. Un autre s’était en effet glissé, prêt à l’attaquer. S’ils comptaient l’abattre en la prenant en traître, soit, elle ne se retiendrait pas. D’un geste sec, la guerrière leva son épée, choisissant la parade contre son premier adversaire. Elle tenait la lame d’une seule main en espérant que cela suffise pour le peu de temps que cela devait durer. En le voyant, le soldat s’empressa d’appuyer de toutes ses forces mais l’elfe tint bon. Cependant elle n’en oublia pas celui qui fonçait vers elle. A son ceinturon, une petite dague dépassait légèrement. Elenoy la prit aussitôt pour la lancer sur l’autre homme. La dague lui transperça la gorge et il s’effondra, heurtant le dallage et retombant sur sa propre arme. Une fois certaine de l’avoir éliminé, l’elfe entreprit de se débarrasser de son second opposant. Dans des mouvements synchronisés, elle empoigna sa lame et leva la jambe droite qui vint frapper avec violence le pauvre malheureux qui s’évertuait à vouloir la faire flancher. Tout ceci se déroulait à une allure fulgurante. Lorsque les épées courtes eurent enfin cessé de se fracasser contre celle de la jeune femme, cette dernière fit tournoyer son arme dans sa main. Et d’un coup sec, un seul, elle la planta dans le torse de l’assassin. Deux corps déjà maculaient la terre de leur sang.

- Allez, n’ayez pas peur, déclara la reine à l’adresse de ses adversaires tout en affichant un sourire redoutable.

Vexés par tant de défiance, les hommes n’hésitèrent pas à charger. Celui qui fut le plus rapide était armé d’une lance en acier qui ne paraissait pas évidente à manier. Toutefois, le combattant la maniait avec aisance, la faisant sauter d’une main à l’autre. Contre cet adversaire, la dragonnière décida d’employer les mêmes techniques de combat. Avant que le milicien ne se jette sur elle, la souveraine échangea son épée contre un couteau au gros pommeau, précédemment caché dans sa botte gauche. L’air amusé de son opposant face à cette arme insolite ne lui échappa pas. Or, lorsqu’elle exécuta un geste brusque du poignet, l’arme se métamorphosa en une lance toute aussi grande. Fabrication elfique : une hallebarde rétractable. Mais avant d’engager quoi que ce soit, l’élémentariste prit soin de s’isoler. Autour des deux combattants, un large cercle de pierre s’érigea du sol jusqu’à atteindre une hauteur de trois mètres. Le soldat n’en fut pas effrayé et lança la première attaque. De justesse, la jeune femme l’esquiva en se décalant sur le côté. Le duel fut épique, l’homme étant un fin guerrier. Toutefois, son opposante parvint à prendre le dessus. Tout en s’appuyant sur la paroi rocheuse qu’elle avait elle-même créé, Elenoy s’éleva d’un bon mètre et sauta, se retrouvant au-dessus de son adversaire. Ce dernier tenta de l’empaler, mais arrivant seulement à lui entailler le bras. Et tout en retombant derrière le soldat, la bretteuse le trancha dans le dos. Blessé gravement sans pourtant mourir, le garde s’allongea à terre. Dès lors, le mur de pierre éclata en morceaux, découvrant une place vide ; les autres miliciens, profitant de l’agitation du combat, étaient montés sur les toits afin de venir en aide à leur camarade. Ce fut le bruit de leurs pas qui l’indiqua à la dragonnière. Elle s’empressa alors de quitter les lieux par le seul chemin qui s’offrait à elle : droit devant.

*- Miremel, il faut absolument que tu viennes m’aider. La situation est critique, nous devons partir !*
*- Je viens tout de suite. Pendant ce temps, tu…*
*- Non, la coupa sèchement sa partenaire. L’ombre Valendil est ici, j’en suis persuadée. Je dois le trouver, me retrouver face à lui.*
*- Je comprends. Mais au moindre souci, je vole à ton secours.*

Aucune réponse. L’elfe regardait à droite, à gauche. Les oreilles frémissantes, elle écoutait tout ce qui se déroulait autour d’elle. Les gardes n’allaient pas tarder à la retrouver, c’était certain. Elle déambulait dans les allées sinueuses de la cité dévastée, n’ayant hélas que peu d’endroit où se mettre à l’abri. Sortir immédiatement serait une erreur : les hommes sauraient aussitôt dans quelle direction elle aurait fui. Cependant, trop tarder allait aussi lui porter préjudice. Et il y avait toujours Valendil, dont elle ignorait la position. Tandis qu’elle réfléchissait sans faillir à son allure, elle distingua la silhouette d’un soldat qu’elle croisa à un carrefour. Ni une ni deux, elle accéléra. Alors que la collision était imminente, elle constata que son adversaire était celui à la masse. Grave erreur que de tenir une telle arme face à Elenoy. Avec une certaine agilité, elle se glissa entre les jambes de son opposant tandis que le poids s’abattait derrière elle. Epée à la main, elle en profita pour lui sectionner les tendons, ce qui obligea l’assassin à s’agenouiller. Il était devenu inutile de s’acharner sur lui et c’est pourquoi la dragonnière reprit sa course. Elle sentait la présence atténuée des autres hommes ; ils s’étaient donc séparés pour la chercher. Ils n’étaient désormais plus que deux, ou du moins trois…

Lorsqu’elle constata que ses espérances n’étaient pas comblées par l’arrivée du soldat, Elenoy recula instinctivement d’un pas. Le village, bien que détruit, était assez grand pour que la traque soit plus intense. Or, cela faisait deux gardes qu’elle croisait. Elle avait beau déambuler sans bruit dans les ruelles face à des hommes perdus dans l’obscurité, ils ne cessaient de la retrouver sans mal. C’était d’une parfaite illogique, l’ouïe humaine étant bien trop peu développée pour qu’ils puissent s’y fier. Intriguée, la bretteuse leva les yeux vers le dragon qui planait au-dessus d’eux. Le regard de la créature avait beau être rivé sur elle, il oscillait parfois légèrement dans une autre direction, proche de celle de la dragonnière. Ce détail l’étonnait, tout comme le reste. Pourtant, elle n’eut guère le loisir de s’y attarder plus longtemps. Après tout : un ennemi se trouvait à quelques pas de là, prêt à lui planter ses dagues dans le corps. C’est pourquoi la reine juvénile reporta son attention sur ce qui se déroulait dans la rue où elle se trouvait. Malheureusement, une seconde de trop s’était écoulée. Durant sa brève évasion, le milicien en avait profité pour lancer sa première arme qui vint entailler la hanche de la jeune femme. La plaie s’enfonçait de deux centimètres, ce qui fut assez pour qu’elle se mette à saigner. Elenoy porta aussitôt une main à sa blessure, dardant sur son adversaire un regard menaçant. Il avait osé la blesser, et elle ne pouvait pas l’ignorer.

Mettant la douleur lancinante de côté, la guerrière reprit une concentration draconienne. Son adversaire dut sûrement apercevoir le changement de sa posture car il s’empressa de reprendre ses couteaux en main. La jeune femme fit un pas, deux, et chargea. Cela n’ébranla pas le soldat qui lui adressa une pluie de projectiles aiguisés. Mais cette fois, son opposante était prête elle aussi. Sans ralentir, comblant le vide entre elle et sa cible, la souveraine se servait de son épée comme bouclier. Esquivant les couteaux à la dernière seconde, elle les déviait aussi par l’action de sa lame. Les dagues ne parvenaient pas même à abîmer l’arme qui avait été forgée spécialement pour ces missions de la Confrérie. Ce manège dura quelques secondes, et le visage de l’homme se défigurait sous l’effet de la peur. Pourtant il tenait bon, sans bouger d’un pouce. Ce fut, hélas, une erreur qu’il ne réitérerait pas deux fois. Quand enfin Elenoy le rejoignit, elle n’hésita pas à passer à l’acte. D’un geste sec, elle planta son épée dans le ventre du soldat, qui la fixait avec de grands yeux ronds. Et quand la vie quitta enfin son corps, l’elfe retira son arme, laissant le cadavre s’étaler à terre.

*- Il n’en reste plus qu’un désormais…*

Pendant ce temps, les deux autres assassins attendaient avec grande hâte l’arrivée du dragon blanc. Ils scrutaient tout deux le ciel dans l’espoir qu’il viennent leur venir en aide. Ils voyaient mal dans l’obscurité de la nuit, et seul leurs oreilles pouvaient leur être d’un quelconque secours pour détecter la présence de la bête. Ils furent ainsi soulagés en entendant des bruissements d‘ailes. Frrr… frrr… frrr… Le bruit se rapprochait de plus en plus, accompagné d’un vent violent. Cela venait de derrière. Le maître du corps à corps se retourna en tenant toujours son partenaire sur son dos. Et là, son soulagement se métamorphosa en effroi. Ce n’était pas un dragon éclatant qui se tenait devant lui mais une immense dragonne brune, les crocs sortis. Il poussa un hurlement strident, perdu dans les ténèbres de la nuit. En un claquement de mâchoire, les deux pauvres hommes n’étaient plus. Et sur le terre-plein, Miremel se tenait fièrement. De par sa vision de nyctalope, elle apercevait clairement la créature blanche suspendue dans les airs. A son adresse, elle ne lâcha aucun mot, juste un grondement menaçant. Un jet de flammes naissait dans sa gueule, jusqu’à en jaillir. Bien évidemment, Abysmal se trouvait bien trop loin pour être atteint par cette déferlante. Il s’agissait simplement là d’une provocation qui, la dragonne s’en doutait, n’allait pas tarder à recevoir une réponse.

Elenoy, quant à elle, avait reprit ses réflexions un court instant, alors que le corps touchait à peine le sol. Bien que toujours sur le qui-vive, elle repensait au regard du dragon qui n’avait cessé de s’alterner. De par sa propre relation avec Miremel, elle savait qu’on l’avait observé par les yeux d’Abysmal. Et le fait que l’attention du dragon soit déviée de sa tâche ne pouvait signifier qu’une chose : une personne, encore plus importante, requérait sa protection. Il n’était pas compliqué de deviner qui pouvait bénéficier d’une telle attention. Comme les yeux de la bête s’étaient à peine inclinés, elle devinait que sa nouvelle cible n’était pas loin.

*- Où te caches-tu ? Se demanda la dragonnière en observant les maisons autour d’elle.*

Vive comme l'éclair, elle se tourna vers sa droite. Elle était formelle : le dragon avait regardé dans cette direction. Tout en sachant les origines de l’ombre, la jeune femme tentait de dissimuler sa respiration, à l’affût du moindre mouvement suspect. Mais rien. Elle avançait dans l’inconnu, bien décidée à retrouver Valendil. Durant ce bref instant, elle porta sa main à sa hanche. Une étincelle de magie fit se refermer la plaie. Et enfin, alors qu’elle se retrouvait à quelques pas de la grande rue, Elenoy le vit enfin. Une fois de plus, ils se retrouvaient face à face. Eux, deux êtres de clans ennemis. Deux être voués à s’entretuer pour l’Alagaësia. Deux êtres aux destins étroitement liés…
L’épée toujours en main, tâchée du sang des Impériaux tombés au combat, elle s’adressa avec un calme désarmant à l’ombre.

- Sir Valendil… Je croyais que jamais ce moment n’arriverait. Combien de fois encore essayerez-vous de m’éliminer ?

La position altière, le regard rivé sur le parjure, Elenoy l’écoutait avec attention. Néanmoins, elle restait sur ses gardes, l’épée à la main. L’entendre la flatter de la sorte lui fit froncer les sourcils, n’arrivant jamais à s’habituer à de tels compliments lancés à la va-vite. Sortis de la bouche de l’ombre, ces mots semblaient si dénués de sens que le simple fait qu’il ose les prononcer soit un affront. Et lui-même s’empressait d’admettre qu’il ne s’agissait en aucun cas d’une quelconque flatterie de sa part. En signe de mécontentement, la dragonnière se mura dans le silence. De toute façon, elle n’aurait guère eut le temps de poser la moindre parole dans la conversation. Abysmal s’était hâté de revenir auprès de son maître. Il volait à quelques mètres de cela, prêt à déverser une vague de flammes sur sa cible. Puis, comme de par hasard, l’unique soldat rescapé vint aussi à la rescousse. Dès lors, la jeune femme se retrouvait dans une situation épineuse. A sa droite, Valendil dont elle connaissait la force incommensurable. A sa gauche, un assassin qui semblait spécialisé dans le corps à corps par son absence d’arme. Et au dessus de sa tête, un immense dragon blanc dont les crocs pouvaient la déchiqueter avec aisance. Ainsi cernée, le dos plaquée contre le muret de pierre, il fallait qu’elle réfléchisse vite. Toutefois, ce fut une voix dans son esprit qui lui indiqua la démarche à suivre, à son plus grand bonheur. Et au même moment, on pouvait aisément discerner le bruit de battements d’ailes au loin, se confondant avec celles de la créature éclatante.

*- Dégage de là et protège-toi !*

Sans chercher à comprendre le pourquoi de ces ordres, l’elfe s’exécuta. A la grande surprise du soldat, elle bondit en avant dans l’espace restreint qui lui restait. Pendant ce temps, la grande dragonne brune était apparue. Entre ses grands serres acérés, une pierre d’un demi-mètre de large glissait dangereusement. D’un coup de pattes, Miremel se débarrassa de son colis. Elle lança, sans grande précision, la roche qui tombait sur les trois adversaires. La grande hâte ainsi que la situation désespérée l’empêchait de prendre assez de temps pour viser correctement. Elenoy s’était heureusement attendue à une telle bévue et avait prit soin de s’écarter au mieux. Comme précédemment, elle érigea une barrière de pierre qui était sensée contrer l’attaque brutale de sa partenaire. Néanmoins, cette dernière avait pris soin, au moins, d’éviter sa petite protégée. Ainsi, avec une violence redoutable, la roche fondit sur le garde totalement déboussolée. Le mur qui autrefois dissimulait Valendil fut explosé sous la force de l’impact, ce qui sauva à coup sûr les deux Impériaux. La vitesse du projectile en fut grandement amoindrie, mais l’effet de surprise était bien là. Les éclats de pierre s’éparpillèrent dans tous les sens, blessant l’assassin. A l’inverse, la reine juvénile se doutait que le parjure avait réussit à anticiper le coup en percevant l’arrivée de la dragonne. C’était déjà mieux que rien.
Grâce à l’action de Miremel, la bretteuse profita de ces quelques secondes de répit pour fondre sur le garde. Si le mur n’avait pas suffit, elle allait dont s’occuper d’achever le dernier homme présent. De ses lèvres s’échappa une formule en ancien langage aux accents sibyllins. Un « stern reïsa » murmuré à mi-voix. Les dalles qui avaient servis d’abri s’envolèrent sous la demande de la dragonnière qui, de son côté, levait les bras en même temps. Puis, sans un mot, elle ordonna aux pierres de se ruer sur le soldat. D’un geste rapide du bras, elle indiqua la direction que ses projectiles devaient suivre, et ils s’exécutèrent. L’homme mourût ainsi empalé, sans avoir eu le loisir de combattre vraiment son opposante.

*- Merci beaucoup Mi’, tu es arrivée à point nommé.*
*- Je sais je sais. Mais reste concentrée, nous ne sommes pas encore sorties d’affaire toutes les deux.*

Et c’était peu de le dire. Car de tous ses adversaires, il restait désormais le plus dangereux. Le seigneur Valendil, avec qui elle avait déjà eu de nombreuses altercations. Pourtant, jamais ils n’arrivaient à abattre l’autre. Que ce soit par volonté ou non, le résultat ne changeait pas ; ils étaient toujours en vie l’un comme l’autre. Et quatre longues années s’étaient écoulées ainsi…
Tandis que Miremel fixait le grand dragon blanc, Elenoy en faisait de même avec l’ombre. Elle n’osait pas réellement attaquer, sachant qu’elle serait toujours contrée. Cependant, fuir n’était pas non plus une idée envisageable. Du moins, pas pour l’instant.

- J’ai le malheur de vous annoncer qu‘une fois encore, j‘espère parvenir à vous fausser compagnie, ironisa-t-elle calmement. Je dois admettre que le fait de vous rencontrer à chaque fois est plus qu’un hasard. Cependant, je ne souhaite pas savoir en quel honneur nous devrions bénéficier d’un tel privilège. A présent, veuillez m’absoudre si je dois écourter cette discussion.

Une excuse lancée sans grande conviction. Après tout, la dragonnière n’avait guère le choix. Dans ce monde, la loi était des plus intuitives : se battre ou mourir. Et comme elle le faisait depuis maintenant de nombreuses années, la reine juvénile choisissait de combattre plutôt que de se voir ôter la vie. C’est pourquoi, bien que réticente de prime abord, elle décida d’engager le duel. Ce fut donc par un tourbillon de flammes qui se précipita droit sur l’ombre qu’elle débuta la bataille.

Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'une pierre de bonne envergure ne tombe du ciel ne laissant pas place à Elenoy de répondre au parjure. C'était Miremel qui était l'architecte de ce qui semblait être une diversion. Un peu surpris par la vivacité de l'action, Valendil n'hésita pas à faire un franc bon en arrière pour éviter la roche. Il réatterrit sur ses pieds fléchissant légèrement les genoux pour amortir le contact avec le sol recouvert de dalles de pierres cassées. Levant les yeux vers son soldat, il pu se rendre compte que celui-ci avait échappé au projectile. Cependant, d'importants éclats rocailleux issus de la collision furent éparpillés dans tous les sens. Pas le temps de réfléchir plus longtemps, il fallait se protéger. l'Ombre mit son bras devant lui en guise de bouclier et bascula un peu le corps en avat pour couvrir également son ventre. Sa tunique en maillée très finement encaissa sans mal les impacts et lui permit de ne pas se faire blesser. L'aventure se passa tout autrement pour l'autre impérial. A peine eut-il essuyé cette pluie que la souveraine lui avait déjà fait mordre la poussière par un sort simple, mais efficace. Valendil n'eut guère le temps de réagir et regarda amèrement son sbire se faire tuer dans un bruit de chair atroce. Six. Voilà le nombre d'impériales que la dragonnière chevronnée venait de mettre en déroute. Des guerriers pourtant entraînés et dont la force avait déjà été prouvée auparavant. Mais ça n'avait une fois de plus pas suffit à la faire fléchir. Combien de soldat de l'Empire allaient encore modre la poussière sous les lames des Vardens, des Elfes et des Dragonniers. Elenoy avait une sorte d'aura autour d'elle. Quelque chose qui la rendait imprenable. Elle échappait tout le temps au parjure et ça, lui-même n'arrivait pas à le comprendre.

*Comment peut-on se faire prendre aussi facilement dans une embuscade et sauver quand même sa peau. Qu'est-ce qu'elle a de spécial cette elfe.*

En voyant son dernier guerrier s'effondrer, Valendil se demanda s'il tait nécessaire de continuer ce getapan qui, il faut bien le dire, était un échec cuisant. Qui plus est, quelque chose lui disait qu'une nouvelle fois, il n'allait pas réussir à mettre la main sur elle. Et dire qu'il l'avait approché de si prêt ce jour-là. Lorsqu'il ne connaissait pas son visage. Il l'avait même sauvé de la prison. Et maintenant il veut l'y remettre. Quel paradoxe. A quoi bon courir ainsi après. Est-ce que sa capture servira seulement à quelque chose ? La foi des elfes, leur honneur et leur force sont-ils seulement ébranlables ? Ces question il se les posait souvent et ne trouvait jamais de réponse. Après, la seule solution restait de le vérifier par soi-même. Mais combien de soldats allait-il encore envoyer mourir pour ça. Combien de sacrifices restent-ils à faire pour une simple vérification ?

- J’ai le malheur de vous annoncer qu‘une fois encore, j‘espère parvenir à vous fausser compagnie, ironisa-t-elle calmement. Je dois admettre que le fait de vous rencontrer à chaque fois est plus qu’un hasard. Cependant, je ne souhaite pas savoir en quel honneur nous devrions bénéficier d’un tel privilège. A présent, veuillez m’absoudre si je dois écourter cette discussion.

- Je dois avouer que je commence à me lasser de vous courir après. Je souhaite pour moi autant que pour vous que la prochaine tentative de votre capture soit organisée par quelqu'un d'autre que moi. Si prochaine tentative il y a.

A la fin de cette phrase, il intensifia son regard et esquissa un sourire narquois. De toute évidence, les deux ennemis allaient une nouvelle fois s'affronter. Il le savait et se tint prêt à parer la moindre attaque. Ses attentes furent vite comblée lorsque dans un geste vif et quelques paroles à peine audibles, la jeune femme déclencha un tourbillon de flamme en direction du Parjure. Une attaque éclair qu'il fallait à tout prix contenir pour ne pas être désavantagé le duel juste entamé. Inutil d'utiliser le vent pour contrer. Elenoy avait sans l'ombre d'un doute une puissance magique supérieure. Utiliser l'eau était une bonne idée, la faiblesse du feu face à elle compenserait la faiblesse magique de Valendil face à la reine.

- Adurna Skölir.

Les bras le long du corps, il en tendit un en ouvrant la main et en remontant le bras rapidement et en fléchissant simultanément le coude forma un bouclier aqueux sur lequel la petit tornade enflammée vint s'écraser. Il n'aurait pas fallu traîner plus longtemps sinon c'était le barbecue. Encore une chance que sa seule façon de mourir était de se faire transpercer le coeur. Un des avantages des Ombres. Sans attendre plus longtemps, le Parjure établit un stratagème et attaqua.

- Oria du brisingr.

Tout en mimant le lancement d'un projectile, une grande flèche de feu vint se matérialiser dans sa main. Flèche qu'il envoya a une vitesse vertigineuse. Cependant, il ne visait pas Elenoy mais sa dragonne. En faisant ça, il essayait de détourner l'attention de la reine. Quelques secondes suffisaient pour la frapper.

Spoiler:

Comme la jeune femme s'y était attendue, Valendil contra aisément cette attaque quelque peu basique. Le bouclier aqueux avala sans peine la déferlante de flammes. L'ombre était intact, sûrement déjà prêt à riposter. Mais l'empressement avait empêché Elenoy d'élaborer une attaque plus puissante. Une grave erreur qu'elle se jura de ne pas réitérer. Après tout, elle n'avait pas n'importe quel sbire de l'Empire face à elle mais bien le bras droit du roi. Par le passé, la dragonnière avait déjà eu l'occasion de tester les aptitudes de l'ombre. Et bien que les années se soient écoulées, elle avait toujours une vague idée de ce qui l'attendait si elle relâchait son attention. Dire qu'autrefois, ce même parjure lui avait assurément sauvé la vie. Grâce à lui, elle avait échappé aux tortures de Gil'Ead. Mais malgré cet acte de bonté, ils restaient des ennemis mortels. La gentillesse n'avait hélas pas de place dans leur monde. Et bien que la bretteuse ait toujours une dette envers Valendil, elle se voyait mal lui rendre la pareille d'une quelconque façon. Tout ce qu'il désirait d'elle c'était qu'elle se livre à l'Empire. Or, il s'agissait là de la seule chose qu'Elenoy n'était pas à même de lui accorder. Alors mieux valait l'oublier.
Miremel, quant à elle, formait un bouclier entre sa protégée et le dragon blanc. Elle n'avait pas l'intention d'engager le combat, juste de contrer une éventuelle attaque d'Abysmal. Sa priorité restait toujours de défendre sa partenaire. Elle dévoilait donc une rangées de crocs acérés afin d'intimider son opposant. Ses yeux ambrés, eux, le fixaient avec intensité.

*- Je crains que le duel ne puisse s‘éterniser. A la moindre occasion… il faudra battre en retraite, pensait la demoiselle lorsqu'elle vit l'inefficacité de sa première attaque.*

Déjà, elle préparait une seconde tentative. Elle souhaitait, avec cela, éloigner le parjure dont elle connaissait la force physique démesurée. Dans un combat au corps à corps, elle savait sa faiblesse. Le moindre coup encaissé et ce serait un énorme désavantage. Et bien que la reine puisse compter sur sa grande souplesse, elle doutait que cela soit suffisant à long terme. C‘est pourquoi, tout en fixant le bras droit, elle essayait d‘élaborer un nouveau sort qui cette fois serait plus conséquent. Hélas, elle ne fut pas assez rapide cette fois. Alors qu‘elle commençait à réciter son incantation en ancien langage, Elenoy vit Valendil changer de posture. Il comptait aussi sur la puissance dévastatrice du feu. Pourtant, l‘attaque n‘était pas destinée à l‘elfe qui le comprit aussitôt en voyant où l‘ombre visait. Sa stupeur l‘obligea à réagir sur-le-champ. Miremel ne possédait pas son armure de combat, trop encombrante lors d‘un voyage du Du Weldenvarden jusqu‘à la vallée de Palencar. En cette nuit d‘encre, la dragonne était simplement équipée d‘une protection de cuir et fines plaques de fer. Rien qui puisse réellement préserver d‘une attaque magique. Et bien que le feu ne soit pas un élément étranger à Miremel, la forme de flèche n‘allait pas passer sans dégâts. Le parjure venait de trouver une faiblesse qui déjà, s‘était montrée efficace une fois. Car à peine eût-elle comprit la stratégie que la dragonnière réagit au quart de tour. Il fallait qu‘elle protège l‘être le plus cher à ses yeux, et ce à n‘importe quel prix.

- Miremel attention !

Des paroles prononcées à haute voix qui trahissaient l‘inquiétude de la jeune femme. La dragonne, quant à elle, inclina sa lourde tête en direction du parjure. De nouveau, la souveraine choisit la magie comme seule défense. Elle tendit la main gauche vers Miremel, les doigts écarquillés. Puis, elle exécuta un moulinet du poignet.

- Skölir nosu fra brisingr !

Et comme l‘ancien langage le lui ordonnait, les flammes qui composaient la flèche ne purent blesser la dragonne. Elles lui léchèrent les écailles, comme une chaude brise du Hadarac. Miremel le sentit à peine, mais la rage d’avoir été prise pour cible s‘installa dans son coeur. Cette fois, elle voulût se venger en engageant elle aussi le combat. L’idée d’être une proie ne plus plaisait pas, et c’est pourquoi sa passivité protectrice n’avait plus sa place désormais. Ouvrant une gueule béante, elle se déchaîna sur la seule personne se trouvant à proximité : Abysmal. Œil pour œil, dent pour dent comme on dit. Alors qu’elle planait un peu au-dessus du sol depuis tout à l’heure, elle donna un puissant coup d’ailes qui provoqua une grande bourrasque de vent. Ainsi, elle put s’élever de plusieurs mètres afin de se mettre à la même hauteur que le dragon blanc. Puis, rugissant avec férocité, elle se jeta sur son adversaire.
Soulagée que sa partenaire soit hors de danger sur l‘heure, Elenoy, elle, reporta son attention sur Valendil. Il s‘était bien entendu écoulé quelques secondes, durant lesquelles son attention avait vagabondé entre sa partenaire et le parjure. Elle savait sa faute. Elle savait qu'il allait profiter de ce laps de temps pour l'attaquer. Cependant, qu'aurait-elle pu faire d'autre ?

La stratégie du parjure avait fonctionné. Elenoy avait portée très logiquement son attention sur son amie afin de lui éviter la moindre blessure. Elle ordonna aux flammes de la flèche meurtrière ne s'estomper. Une très bonne tactique à vrai dire. S'en prendre à l'élément même composant le sort était bien plus malin et aisé que d'encaisser bêtement en formant un bouclier. Laissant ainsi l'ouverture que l'ombre attendait patiemment, il ne restait plus qu'à attaquer. Il fléchit les jambes et se mit à courir à grande foulée sur la dragonnière non pas en ligne droite, mais en formant un très léger arc de cercle. A quelques mètres maintenant de sa cible, il bondit prenant appuie sur sa jambe droite et arma son bras droit en serrant le poing.

*C'est terminé ma reine.*

Dans le même temps, Miremel se rua sur Abysmal. Une seconde bataille avait commencée. Fier, la créature blanche ne bougea pas d'un pouce et leva ses pattes pour se défendre. La collision provoqua un bruit sourd et les deux dragons amorcèrent une chute à pique en se bagarrant à coup de griffes et à coup de dents. Ils parvinrent à se séparer juste avant de toucher le sol et remontèrent un peu en altitude en se regardant par intermittence. Une fois à bonne hauteur, la bataille reprit. Le serviteur du parjure engagea à son tour une ruée vers son opposant la gueule ouvert. Il visait le cou. A cette hauteur, le vent soufflait énormément e til n'était pas facile de rester stable. A plusieurs reprise, Abysmal dévia de sa trajectoire malgré son poids et du péniblement donner un léger coup d'aile à chaque fois pour se remettre dans le droit chemin. Miremel, plus agile et vif que lui esquiva sans mal sur le côté et cracha un jet de flamme par réflexe. Le feu vint s'écraser vainement sur le cuir épais du dragon blanc et disparu rapidement. Utiliser le feu de cette façon sur un dragon était inutile dans un sen comme dans l'autre. Ces créatures habituées à cet élément ne sentaient absolument rien s'il n'était pas modelé en un sort offensif. Et de toute façon, elles possédaient la peau pour ne subir aucun dommage.

Cette seconde bataille était véritablement sans intérêts. Miremel avait la vivacité suffisante pour esquiver toutes les tentatives d'attaque d'Abysmal tandis que ce dernier possédait l'endurance et la résistance pour faire durer ce combat jusqu'à épuisement.

Mais de toute évidence une chose était sûr. Le premier affrontement n'allait pas s'éterniser. Quelques dizaines de mètres plus bas, les choses évoluèrent.

Valendil devant la situation contacta son partenaire par la pensée et lui glissa un détendu 'Achèves-les'. Sans plus attendre, la créature fonça droit sur la dragonne protégeant la souveraine. L'impact était imminent et suffisamment dévastateur pour mettre Miremel en très mauvais état. Une fois au sol, un bon coup de dent suffirait à abattre l'elfe. Soudain, un bruit sifflant retentit dans les airs obscurs de Yazuac et une flèche bien trop rapide pour être discernée à l'oeil nu se planta sous la patte arrière gauche du dragon blanc. Une troupe d'éclaireurs elfes venait de faire irruption à une cinquantaine de mètres. Abysmal hurla de douleur en poussant un cri rauque et assourdissant, puis dévia de sa trajectoire en prenant de l'altitude. Dans un dernier effort, la bretteuse parvint à se hisser sur le dos de sa monture et un battement d'aile plus tard, elle prit la fuite. Valendil commença à courir. Courir de plus en plus vite. Il puisa au plus profond de lui même et atteignit une vitesse inhumaine. Un rocher situé à quelques pas du dernier assaut lui permit de prendre un appuie parfait et une extension plus tard, il décolla du sol à près de 20m. Encore bien loin de son objectif, il serra le pommeau de son arme et dégaina. Le parjure tendit son bras droit vers l'arrière et lança l'épée qui fila tout droit pointe en avant à une allure fulgurante. En un clin d'oeil, l'épée rattrapa sa cible et siffla dans les oreilles de la bête sectionnant une infime mèche de cheveux d'Ellesmera au passage. Il avait loupé sa cible. Volontairement ou non, lui même ne le savait pas et il ne se posa pas la question. C'était mieux ainsi.